[P2P-F] Fwd: [echanges] TELERAMA: Le sens “commun”, une alternative au capitalisme ?

Michel Bauwens michel at p2pfoundation.net
Wed Jun 18 02:46:46 CEST 2014


---------- Forwarded message ----------
From: Marion Louisgrand Sylla <kerthiossane at gmail.com>
Date: 2014-06-17 4:14 GMT-05:00
Subject: Fwd: [echanges] TELERAMA: Le sens “commun”, une alternative au
capitalisme ?
To: Felwine Sarr <felwine at gmail.com>
Cc: Abdu Sek <seck.abdou at gmail.com>, Fadel Barro <fadel.barro at yahoo.fr>,
alternativ@
Le sens “commun”, une alternative au capitalisme ?

http://www.telerama.fr/monde/le-sens-commun-une-alternative-au-capitalisme,113475.php

Entretien | Partager les idées, les voitures, les connaissances, les
maisons. Le “commun” inspire citoyens, philosophes ou juristes… Le
philosophe Pierre Dardot et le sociologue Christian Laval nous éclairent
sur cette aspiration grandissante.

Le 14/06/2014 à 00h00
Weronika Zarachowicz - Télérama n° 3361
   Christian Laval et Pierre Dardot. - Olivier Coret / Divergence

Quoi de commun entre les mouvements Occupy
<http://www.telerama.fr/monde/occupy-wall-street-contre-la-finance-la-guerre-est-declaree,73810.php>,
les partisans du « logiciel libre
<http://www.telerama.fr/tag/logiciel-libre> », qui souhaitent un meilleur
partage des idées et connaissances, ou encore les nouveaux modes de
consommation alternatifs, qui fleurissent à travers le monde ?
L'aspiration, précisément, au *« commun »,* affirment le philosophe Pierre
Dardot et le sociologue Christian Laval. Pour eux, ces myriades
d'initiatives sont en train d'inventer de nouveaux rapports sociaux et
politiques, même si les acteurs du collaboratif n'en sont pas toujours
conscients. Explications à deux voix sur la notion de « commun », qui
inspire de plus en plus de philosophes, d'économistes, de juristes et de
citoyens. Et pourrait devenir *« le terme central d'une nouvelle
alternative politique au capitalisme ».*


*Pourquoi vous intéresser au « commun » ?*
*Christian Laval : *Nous travaillons depuis plusieurs années sur la
critique du néolibéralisme et la nécessité d'imaginer une autre logique
sociale. Or nous avons été frappés par plusieurs mouvements simultanés,
apparus au cours des années 1990. D'une part, une intense réflexion
théorique sur la gouvernance des ressources, qui s'oppose aux nouvelles
formes d'appropriation privées et étatiques (de notre eau, notre
biodiversité, notre santé, notre éducation...). D'autre part, un
foisonnement de pratiques collaboratives sur Internet et de mouvements
sociaux. L'altermondialisme a fédéré les luttes contre la privatisation des
services publics ; les préoccupations écologiques montent en puissance
contre le pillage des ressources naturelles ; le mouvement du « logiciel
libre » construit les « communs de la connaissance », scientifique,
intellectuelle, artistique... Toutes ces initiatives reposent sur une même
exigence : le « commun », qui les condense et les articule.

Il ne s'agit pas seulement de pratiques « différentes » ou « locales »,
qu'elles soient de consommation ou de production. Ces initiatives proposent
un principe politique, fondamentalement contestataire face au modèle de
concurrence généralisée et d'appropriation du monde. On déplore souvent
qu'il n'y ait pas d'autres choix que le libéralisme : le « commun » est en
train de les inventer !

*Pierre Dardot :* Nous avons été marqués par « le mouvement des places »
partout dans le monde, en particulier celui du parc Gezi, à Istanbul. Les
citoyens ont voulu préserver des espaces de vie urbains pour l'usage
commun, face au projet de confiscation du gouvernement au profit d'intérêts
privés — la construction d'un supermarché et d'une mosquée. Ils se sont en
même temps référés à la Commune (1) , c'est-à-dire à l'« autogouvernement
local ». Cette articulation nous paraît essentielle.

*Comment définir « le commun » ?*
*P.D. : *Ce principe invite à revenir aux fondements de l'obligation
politique : la seule obligation politique légitime devrait être fondée sur
la participation de tous à la délibération et à la prise de décision. De ce
point de vue, le « commun » récuse certains modèles actuellement en plein
essoufflement, comme la démocratie représentative, où un petit nombre
s'arroge le droit de décider au nom de tous.
*C.L. :* Tout est aujourd'hui construit autour d'un seul principe politique
qui refuse de s'affirmer comme tel, celui de la propriété : la propriété du
pouvoir, des biens, des moyens de production... Aujourd'hui, cette tyrannie
de la propriété ne cesse de s'étendre. Or une démocratie véritable ne peut
exister sans la contester. Le commun s'oppose donc à cette logique et fait
prévaloir l'usage contre la propriété.

*Le boom des pratiques de « co » (covoiturage, co-working, troc...) fait-il
partie de cette progression du « commun » ?*
*C.L. : *Certaines formes collaboratives sur Internet comme le « logiciel
libre », ou plus récemment les « makers » (2) , qui partagent outils,
connaissances et savoir-faire *(lire notre reportage)*
<http://www.telerama.fr/monde/je-fabrique-tu-fabriques-nous-revolutionnons,113474.php>,
ont participé à son émergence. Ces initiatives sont autant d'aspirations à
de nouveaux rapports sociaux et politiques, même si les acteurs du «
collaboratif » n'en ont pas toujours conscience. Mais toutes les pratiques
de « co » ne sont pas d'authentiques « communs ». Beaucoup sont récupérées
par les stratégies entrepreneuriales, qui mettent au travail des
consommateurs bénévoles en leur donnant l'illusion de participer à une
communauté, à des modes de vie plus « conviviaux » (on pense à l'essor des
réseaux sociaux type Facebook, capturés par les logiques marchandes)...
Résultat : une myriade de petites expériences auxquelles on a retiré tout
sens global et tout potentiel critique.

*Les pratiques collaboratives insistent surtout sur le partage. Pas
forcément sur la dimension politique !*
*C.L. :* Il s'agit non pas uniquement de partager les usages ou les biens,
mais de décider collectivement de la manière dont on les organise. Voilà
pourquoi le principe politique du « commun » concerne tous les secteurs —
services publics, monde associatif, entreprises privées — et n'est pas
seulement le dernier avatar de l'économie sociale et solidaire, version «
économie collaborative »... Le secteur dominant est aujourd'hui le secteur
capitaliste, qui est en connexion étroite avec l'appareil d'Etat, et ce
sont précisément ces institutions — capitalistes et d'Etat — qui doivent
être radicalement transformées pour instituer de nouvelles valeurs.

*Le commun oblige-t-il à dépasser l'opposition entre marché et Etat ?*
*C.L. : *C'est un enjeu majeur, notamment pour la gauche française, qui
fait semblant de croire que l'Etat nous protège du marché et de la grande
appropriation du monde. L'Etat est aujourd'hui un acteur-clé du marché ! Il
définit les normes de compétitivité et de concurrence de concert avec les
multinationales et les institutions internationales.
En fait, le commun propose une alternative à la propriété privée comme à la
propriété étatique. Il tourne donc le dos au communisme et à toutes les
formes d'étatisme qui ont envahi la pensée de la gauche. Il permet de
renouer avec des traditions socialistes du xixe siècle et du début du xxe,
quand la gauche (qu'il s'agisse de Proudhon, de la Commune de Paris ou du
mouvement des coopératives) ne réduisait pas la politique à une
intervention de l'Etat.
*P.D. : *Tout l'enjeu est de penser ce nouveau concept de « public non
étatique », notamment sur le plan juridique, en sauvant dans le « public »
ce qui mérite de l'être — l'idée que cela doit profiter et être accessible
à tous.

*La France semble avoir du mal avec le « commun » ...*
*P.D. : *Un des vices profonds de la propriété d'Etat à la française est
d'avoir organisé, d'une part, un monopole de l'administration étatique, et
d'avoir relégué, d'autre part, tous ceux qui n'en font pas partie dans une
position d'usagers passifs, de consommateurs-spectateurs extérieurs. Les
usagers ont le droit de s'exprimer, et de participer à la délibération et à
la décision.
*C.L. :* La France a certes connu des mouvements sociaux dernièrement, mais
il s'agissait surtout de mouvements de défense des services publics, de la
protection sociale, des retraites. Par son histoire, notre pays, plus
encore que ses voisins européens, se situe sur une ligne de front entre les
forces du marché et le supposé rempart protecteur de l'Etat. Ce qui
explique pourquoi une alternative, à la fois au marché ET à l'Etat, a
autant de mal à passer.

*L'Italie vous semble-t-elle en revanche en avance ? *
*C.L. : *En juin 2011, les Italiens ont interdit par référendum — à 95 % !
— la privatisation de l'eau, et les Napolitains se sont emparés du résultat
avec l'aide de juristes. Sous l'impulsion de la Mairie, la régie municipale
de l'eau a été pensée comme un véritable commun, géré selon des principes
d'autogouvernement, par des habitants, des associations, des syndicats...
Une dynamique se dessine pour faire du commun « inappropriable » le
principe prévalant au niveau local, et Naples a élargi l'expérience à
l'immobilier : on va pouvoir installer des gens dans des immeubles
inoccupés par leurs propriétaires. L'idée que l'usage doit prévaloir sur la
propriété a une potentialité de transformation radicale ?

*P.D. : *La même logique anime le groupe d'acteurs qui occupe et gère un
des grands théâtres historiques de Rome, abandonné, le théâtre Valle. Ils
en réclament non pas du tout la propriété mais l'usage. Nous y voyons l'un
des nombreux foyers de cette révolution en marche, au sens où l'entendait
Cornelius Castoriadis : ni guerre civile ni effusion de sang, mais ce
moment où la société se saisit de son destin pour transformer certaines de
ses institutions centrales.



(1) De mars à mai 1871, la Commune de Paris fut une expérience
d'autoadministration de la ville par ses habitants avant d'être écrasée par
les versaillais, armée régulière du gouvernement.

(2) Le mouvement Makers (« ceux qui fabriquent ») transfuse les principes
de la coopération numérique dans le monde de la production matérielle, en
un mouvement à la fois artisanal et innovant : ils partagent idées et
connaissances grâce à l'« open source », acquérant ainsi un immense savoir
collectif.

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