<div dir="ltr"><br><div class="gmail_quote">---------- Forwarded message ----------<br>From: <b class="gmail_sendername">JNM</b> <span dir="ltr"><<a href="mailto:jnm@rom.fr">jnm@rom.fr</a>></span><br>Date: 2014-11-13 19:50 GMT+07:00<br>Subject: Re: [lfowhattheflok] Fablabs, Makerspaces: entre innovation et émancipation ?<br>To: <a href="mailto:lfowhattheflok@zinclafriche.org">lfowhattheflok@zinclafriche.org</a><br><br><br><u></u>
<div>
<div><br></div>
<blockquote type="cite">Seulement l'abstract est
disponible...<br>
</blockquote>
<blockquote type="cite"><br>
<a href="http://recma.org/article/fab-labs-makerspaces-entre-innovation-et-emancipation" target="_blank"><span></span>http://recma.org/article/fab-labs-makerspaces-entre-innovation-et-em<span></span>ancipation</a></blockquote>
<div><br></div>
<div><br></div>
<div><br></div>
<div><br></div>
<div>Yannick Rumpala, qui est à Nice comme moi, m'avait demandé de
corriger cet article. Il est possible qu'il ait pu faire une retouche
pour le doc final. Vous pouvez lui écrire de ma part si vous voulez
la version finale pour usage personnel. Si c'est pour une publication,
il faut lui demander l'autorisation.</div>
<div><br></div>
<div>JN</div>
<div><br></div>
<div>-----------------------------</div>
<div><br></div>
<div><br></div>
<div><font face="Times New Roman" size="+1" color="#000000"><br>
<br>
</font><font face="Times New Roman" size="+3" color="#000000"><b>Fab
labs et makerspaces : de l'innovation à l'émancipation
?</b></font><font face="Times New Roman" size="+1" color="#000000"><br>
<br>
<br>
</font><font face="Times New Roman" size="+2" color="#000000">Yannick<b> Rumpala</b></font><font face="Times New Roman" size="+1" color="#000000"><br>
Université de Nice / Faculté de Droit et de Science politique<br>
Equipe de Recherche sur les Mutations de l'Europe et de ses
Sociétés (ERMES)<br>
Avenue Doyen Louis Trotabas - 06050 NICE Cedex 01<br>
rumpala [at] <a href="http://unice.fr" target="_blank">unice.fr</a><br>
<br>
<br>
<br>
Rattrapés par les enthousiasmes technophiles et l'idéologie
entrepreneuriale, les fab labs (<i>fabrication laboratories</i>)
pourraient facilement passer pour un nouvel avatar de l'économie
de l'innovation. Une espèce de variante des « start-up
» ou la manifestation d'un esprit similaire. Ces lieux de
fabrication et surtout d'expérimentation, à base de technologies
numériques généralement, sont alors presque assimilés (voire
réduits) à des incubateurs d'entreprises orientés vers les
technologies innovantes. C'est une possibilité, mais parmi
d'autres, notamment si on la replace dans une tendance au
développement d'une multiplicité d'espaces plus ou moins
communautaires visant à partager l'accès à des équipements
sophistiqués à vocation productive, comme les makerspaces
également.<br>
<br>
Initialement, les fabs labs sont certes des ateliers orientés vers
les nouvelles technologies, mais conçus pour être accessibles à
des non-professionnels : ils mettent à disposition des outils
avancés, généralement plus facilement disponibles dans le monde
industriel, afin que leurs utilisateurs puissent fabriquer leurs
propres objets. L'idée, inspirée du travail du Professeur Neil
Gershenfeld à la fin des années <a href="tel:1990" value="+661990" target="_blank">1990</a> au Massachusetts Institute of
Technology (MIT), portée également par son laboratoire (le Center
for Bits and Atoms), a été reprise dans de nombreux pays, et pas
seulement ceux habituellement considérés comme étant les plus
avancés techniquement.<br>
<br>
Le mouvement ainsi lancé a eu tendance à être absorbé pour
tout un discours emphatique allant jusqu'à annoncer une «
nouvelle révolution industrielle ». Mais, sous des
dénominations diverses, fab labs et makerspaces peuvent aussi
représenter une nouvelle forme, actualisée, d'ateliers
communautaires ou d'ateliers de quartier. Après tout, André
Gorz, dans ses dernières années, a défendu ce genre d'espoir,
dans une forme de réactualisation et de promotion de «
l'autoproduction communale coopérative ». La formulation
était encore dans le registre de l'hypothèse. Avec le
développement notable de ces lieux, une telle hypothèse peut-elle
trouver davantage de substance ? Plus précisément, fab labs
et makerspaces peuvent-ils constituer un mode de production (si on les
analyse par leurs débouchés) ou un système productif différent
(si on les analyse par leur tissu organisationnel et leur inscription
spatiale) ? Dans quelle mesure ? Même s'ils paraissent
se situer à l'écart de l'ordre industriel, peuvent-ils
l'affecter, le perturber ?<br>
<br>
Les potentialités des fab labs semblent tenir à l'assemblage
qu'ils réalisent : des machines qui se rapprochent des standards
professionnels, des modes de fonctionnement basés sur l'ouverture,
des cadres relationnels propices aux échanges et à un
apprentissage en commun. Comparés à l'ordre industriel, ces
lieux laissent entrevoir des possibilités de reconfigurations
multiples et interreliées, en l'occurrence dans le rapport
:<br>
- aux équipements et systèmes techniques ;<br>
- au travail et aux fonctionnements organisationnels ;<br>
- à l'espace et aux territoires ;<br>
- aux objets et aux matières ;</font></div>
<div><font face="Times New Roman" size="+1" color="#000000">- aux
circuits économiques.<br>
<br>
En croisant ces angles, la question est alors celle de la trajectoire
socio-technique qui peut être engagée et suivie, autrement dit des
types d'acteurs qui vont s'y agréger, des intérêts et
valeurs qu'ils vont introduire et pousser, des utilisations et
pratiques qu'ils vont promouvoir. Pour mieux appréhender ces
potentialités, la suite de l'article reviendra d'abord sur les
caractéristiques de ces lieux et les promesses qu'ils paraissent
ainsi porter. On montrera ensuite en quoi ces espaces participent
d'une redistribution de capacités, pas seulement techniques. Si un
système productif paraît presque prendre forme à distance de
l'ordre industriel, on essaiera également d'en évaluer les
forces et les implications, y compris politiques. On terminera en
repérant des facteurs et tendances qui peuvent conforter la dynamique
apparemment engagée.<br>
<br>
<br>
</font><font face="Times New Roman" size="+2" color="#000000"><u><b>I)
Une nouvelle forme d'atelier en version « high tech
» ?</b></u></font><font face="Times New Roman" size="+1" color="#000000"><br>
<br>
Les fab labs s'apparentent à des ateliers, mais qui se distinguent
par les outils qu'ils utilisent (notamment des machines à commande
numérique) et particulièrement par les qualités mises en avant
: ils sont conçus pour être ouverts, partagés, collaboratifs.
Les fab labs sont ainsi une manière de rassembler des technologies
et des machines à vocation productive, mais pas sur le modèle de
l'usine. Ils visent à permettre de concevoir, prototyper,
fabriquer et tester les objets les plus divers (« presque
tout », selon les promesses de Neil Gershenfeld), avec un
équipement de pointe mais accessible à un large public, plus large
en tout cas que celui des professionnels déjà capables
d'utiliser ce type d'équipement. Des machines potentiellement
coûteuses (découpe laser, fraiseuse numérique, imprimante 3D,
etc.), en plus du petit outillage complémentaire et de
l'équipement informatique pour la CAO (conception assistée par
ordinateur), sont mises à disposition pour un usage partagé (dans
certains cas avec un « FabManager » qui assume la
responsabilité de l'animation et de la coordination du lieu).<br>
<br>
En principe, le label « fab lab » à proprement
parler suppose l'acceptation d'une (courte) charte, qui garde
l'empreinte du projet d'origine élaboré au MIT. La
dénomination a cependant été reprise largement en dehors de ce
cadre et sans forcément faire référence à la filiation
originelle. En fonction de la qualité des équipements proposés,
et donc de leur coût (de quelques milliers de dollars ou d'euros à
quelques centaines de milliers pour les plus gros fab labs), les
configurations sont d'ailleurs variables et peuvent rendre les
projets plus ou moins facilement réalisables. Les modèles
d'organisation peuvent être également variés, selon leur
orientation vers le secteur de l'enseignement, les entreprises ou le
grand public (potentiellement même avec une orientation militante).
Ces modèles laissent à chaque fois entrevoir des généalogies
différenciées, mais aussi des intérêts et des valeurs encore
hétérogènes. Dans<i> Fab Lab. L'avant-garde de la nouvelle
révolution industrielle</i>, Fabien Eychenne tente une typologie en
distinguant les fab labs de types « éducationnel »,
« privé-business » et « grand public et pro
amateurs ».<br>
<br>
Au-delà de ces types, ces lieux ont comme ambition commune
d'élargir la diffusion des technologies de fabrication numérique,
sous une forme de surcroît qui permette de rendre actifs les
utilisateurs. Ils permettent de travailler sur des projets, mais pas
simplement de manière isolée. Même s'ils peuvent être
menés essentiellement par une seule personne, les projets ne sont pas
censés être réalisés de manière individualiste. De fait, ils
sont aussi le produit de « communautés de pratique
», dans lesquelles les participants se retrouvent dans un engagement
mutuel et peuvent apprendre en partageant informations et
compétences.<br>
<br>
À bien regarder ces différents traits, ces lieux expérimentaux
offrent une image bien plus riche que le seul prisme de
l'innovation. Si l'on adjoint une perspective plus sociopolitique,
ils paraissent ainsi fournir un possible réceptacle aux réflexions
et aspirations d'un courant d'auteurs qui avaient commencé, à
partir des années <a href="tel:1960" value="+661960" target="_blank">1960</a> et <a href="tel:1970" value="+661970" target="_blank">1970</a>, à compléter leur critique du
modèle industriel par une esquisse de voies alternatives :
Murray Bookchin sur la possibilité d'une « technologie
libératrice », Ivan Illich sur la « convivialité
» des outils, Friedrich Schumacher sur les « technologies
intermédiaires », André Gorz sur la défense de la
sphère autonome, Ingmar Granstedt sur les outils « autonomes
».</font></div>
<div><font face="Times New Roman" size="+1" color="#000000"><br>
C'est dans ce type de perspective et de filiation que fab labs et
makerspaces pourraient représenter une forme de projet également
politique. Au-delà de la rhétorique de l'innovation, ils
semblent proposer une forme de réappropriation des outils et des
activités de production. Ces ateliers visent des performances
presque comparables aux équipements industriels, mais en gardant un
positionnement proche de l'artisanat, qui peut ainsi être plus
adapté aux désirs et besoins. Conçus de manière participative,
les projets paraissent pouvoir devenir plus facilement appropriables
par des populations plus ou moins proches. Sur ce principe, une
série de partenaires autour du Fab Lab Network et du Fab Lab Barcelona
s'est par exemple lancée dans la conception et la fabrication
d'une petite maison (Fab Lab House) capable d'utiliser les
ressources de son environnement (le soleil notamment) pour être
auto-suffisante en énergie. Au Nicelab, « laboratoire
ouvert » de Nice, est en projet un appareil de mesure de la
pollution atmosphérique intérieure.<br>
<br>
L'organisation correspondante peut aussi prétendre porter et
incarner un modèle collaboratif capable d'agréger de manière
non sélective des contributions variées. De fait, l'analogie
avec les coopératives ne fonctionne pas complètement, dans la
mesure où les participations peuvent être plus fluides (ce qui
peut d'ailleurs convenir à un certain esprit individualiste de
l'époque). Ces concepts séduisent d'ailleurs certaines
bibliothèques, celles qui ont une vision large des formes de
connaissances à partager, et qui trouvent dans l'extension à la
culture technique une manière de renouveler leur rôle de
médiation.<br>
<br>
Ces expérimentations ont même commencé à s'agréger dans un
mouvement qui ambitionne de s'étendre à une échelle mondiale.
L'International Fab Lab Association prétend aider à promouvoir,
organiser et structurer la communauté qui s'est développée. Si
le nombre d'implantations augmente notablement, une part de la
population peut espérer accéder dans un environnement proche à
de nouvelles capacités de production. L'inspirateur des fab labs,
Neil Gershenfeld, a pu lui-même appuyer ce type de vision en lui
donnant une portée extensive : « These labs form part of a
larger "maker movement" of high-tech do-it-yourselfers, who are
democratizing access to the modern means to make things ».<br>
<br>
<br>
</font><font face="Times New Roman" size="+2" color="#000000"><u><b>II) Des ressources technologiques aux
capacités sociopolitiques</b></u></font><font face="Times New Roman" size="+1" color="#000000"><br>
<br>
Derrière la fascination diffuse pour les technologies de fabrication
numérique, l'attention et les questions que peuvent susciter les
fab labs tiennent aussi aux usages qu'ils semblent permettre. Les
enjeux sont certes technologiques, mais pas simplement ; ils
tiennent aussi aux capacités qui peuvent être construites dans de
tels espaces et aux formes de production qu'ils rendent
concevables.<br>
<br>
<br>
<u></u> <u></u><u><i>a) Une voie de réappropriation de la
technologie ?</i></u><br>
<br>
Un des arguments qui participe de l'attrait exercé par les fab
labs est qu'ils permettraient d'exprimer, voire d'étendre, un
potentiel de créativité plus ou moins latent, précisément en
élargissant les capacités de fabrication à l'échelle de petits
collectifs. Ces communautés pourraient développer leurs propres
outils, concevoir leurs propres objets, en fonction de leurs besoins
et de leur imagination.<br>
<br>
Par la pratique et une assistance si nécessaire, ces espaces
semblent ainsi favoriser une forme de réappropriation de certains
outils. Dans un tel cadre, ces technologies peuvent paraître plus
conviviales, pour reprendre la perspective d'Ivan Illich, dans la
mesure où elles sont rendues accessibles et maîtrisables,<i> a
priori</i> sans discrimination de compétences, et où elles peuvent
être plus proches des lieux de vie et des usages. Devient disponible
un nouveau type d'espaces où des individus peuvent s'exprimer
des désirs de création, tout en conservant une appréhension et
un contrôle de la finalité des technologies utilisées. Le
rapport aux machines semble pouvoir se reconstruire et apparaît
alors plus comme un rapport amateur que comme un rapport
professionnel.<br>
<br>
<br>
<u></u> <u></u><u><i>b)
Apprendre en faisant et partager les
connaissances</i></u></font></div>
<div><font face="Times New Roman" size="+1" color="#000000"><br>
L'état d'esprit qui imprègne les fab labs met en avant non
seulement la possibilité de favoriser la créativité, mais aussi
l'apprentissage. Précisément, c'est par la pratique (la «
bidouille » même, pour reprendre le terme qui y circule
fréquemment) que l'apprentissage est souhaité, escompté et
encouragé dans ce type de lieu. La dimension d'«
éducation » est ainsi promue dans la version française de la
charte des fab labs : « la formation dans le fab lab
s'appuie sur des projets et l'apprentissage par les pairs ; vous
devez prendre part à la capitalisation des connaissances et à
l'instruction des autres utilisateurs ». Il s'agit
d'apprendre en faisant avec d'autres qui ont déjà appris dans le
fab lab ou ailleurs.<br>
<br>
Derrière le propos technologique, la logique est donc aussi souvent
celle de la capacitation. Certains fab labs portent en effet un
discours qui peut rappeler celui de l'éducation populaire. Le
postulat est que les connaissances, même techniques, doivent
circuler et qu'elles peuvent être partagées dans
l'expérimentation en commun. Le rapport à la technique (de fait de
plus en plus présente dans les environnements les plus quotidiens)
et aux biens de consommation tend lui-même à devenir objet de
questionnement, de sorte qu'il n'est plus simplement dans la
passivité. D'où la valorisation de la dénomination de «
makers » pour les personnes qui s'engagent dans ces
activités : ils ne se contentent pas de consommer ; ils
font.<br>
<br>
Dans les activités, il n'y a pas d'assignation de rôles, mais
une fluidité des positions : celui qui a appris est invité à
faire partager ses connaissances à d'autres et à les accompagner
dans leurs propres expérimentations. D'où le souhait également
fréquent que ces lieux soient aussi propices à la rencontre
d'individus aux parcours différents.<br>
<br>
<br>
<u></u> <u></u><u><i>c) Des possibilités
nouvelles pour une production entre pairs et proche des
territoires</i></u><br>
<br>
Du point de vue des réalisations, le modèle est celui d'une
production entre pairs où le produit n'est plus envisagé comme
une « boîte noire ». Non seulement il s'agit de
pouvoir en comprendre le fonctionnement, mais aussi de pouvoir le
fabriquer sans être dépendant d'un processus industriel, lourd
et donc inaccessible. Le rassemblement de machines et de compétences
effectué dans ces lieux (re)donne des prises sur les processus de
fabrication, (ré)introduit les participants dans des tâches que le
système industriel avait opacifiées. Le rapport aux objets devient
plus réflexif, notamment parce que les modalités de conception
sont (ré)interrogées. Documenter les réalisations et surtout
laisser ces informations en libre diffusion permet en outre de créer
une forme de communs, avec des connaissances ou des expériences qui
pourront ensuite être reprises par d'autres.<br>
<br>
Vus sous cet angle, les fab labs et makerspaces deviennent une pièce
dans la reconquête de prises sur les conditions d'existence,
précisément en offrant et en distribuant des capacités de
production pour les artefacts constitutifs de la vie quotidienne. Bien
sûr, il faut un nombre de participants suffisant et surtout ayant
une motivation suffisamment entretenue pour que ces organisations
puissent fonctionner dans la durée.<br>
<br>
Certaines initiatives visent d'ailleurs à répandre ces lieux
dans les territoires. Soutenu par les autorités municipales, le
projet du Fab Lab Barcelona a été élargi avec le souhait affiché
d'installer des fab labs dans différents quartiers et de faire de
la ville une « FabCity ». À Rennes, dans une
inspiration proche, le projet situé au départ à l 'Ecole
européenne supérieure d'art de Bretagne est devenu celui d'un «
Labfab étendu », devant permettre d'« infuser en
réseau ». Avec ces extensions, les fabs labs peuvent se
présenter encore plus comme un moyen de ramener des outils et
équipements technologiques sur des bases locales, ce qui peut ensuite
renforcer des capacités pour aider à résoudre des problèmes
également locaux, comme l'avait aussi envisagé Neil Gershenfeld
: « And instead of bringing information technology (IT) to the
masses, fab labs show that it's possible to bring the tools for IT
development, in order to develop and produce local technological
solutions to local problems ».</font></div>
<div><font face="Times New Roman" size="+1" color="#000000"><br>
<br>
</font><font face="Times New Roman" size="+2" color="#000000"><u><b>III) Infrastructure productive distribuée et
distanciation de l'ordre industriel</b></u></font><font face="Times New Roman" size="+1" color="#000000"><br>
<br>
Une autre manière de questionner les potentialités des fab labs
est de les replacer dans les transformations des systèmes
productifs. À travers ces ateliers de fabrication digitale, ce sont
en effet aussi des réseaux qui se réorganisent et qu'il peut
aussi être intéressant d'appréhender sous l'angle des
chaînes de relations qu'ils peuvent contribuer à reconfigurer.<br>
<br>
<br>
<u></u> <u></u><u><i>a) Déconcentration de la production
?</i></u><br>
<br>
Pour pouvoir réaliser des économies d'échelle, le modèle
industriel avait eu tendance à s'organiser autour d'unités
productives de grande taille, permettant de faire fonctionner des
équipements coûteux dans les mêmes sites, à partir desquels
s'effectuait ensuite une distribution sur de larges zones
géographiques. Fabs labs et makerspsaces sortent de cette logique de
concentration des moyens de production. Les unités sont
effectivement plus petites, mais la prétention est de pouvoir
fabriquer des biens équivalents ou presque. Dans des visions comme
celle Neil Gershenfeld, cette fabrication digitalisée et cet
équipement productif miniaturisé vont évoluer au point de devenir
aussi accessible et répandue que la micro-informatique.<br>
<br>
Avec de telles machines ainsi adaptées, il paraît alors moins
nécessaire de mobiliser de gros investissements, et moins compliqué
de trouver et d'aménager des locaux pour les accueillir. Les
imprimantes 3D incarnent notamment ce type d'espoir : grâce
aux avancées dont elles ont bénéficié, elles semblent
permettre de répartir plus largement des capacités de fabrication.
Cette technologie est cependant encore loin d'être mature.<br>
<br>
<br>
<u></u> <u></u><u><i>b) Contournement des structures
industrielles ?</i></u><br>
<br>
Fab labs et makerspaces suscitent un intérêt pour les besoins non
pris en compte par les industries existantes. Leurs capacités de
production peuvent être vues comme un moyen de réduire la
dépendance à l'égard du système industriel dominant. Par la
miniaturisation et la mise en commun des équipements, le coût
d'entrée dans la fabrication est abaissé. Les productions et
projets réalisés n'ont pas à chercher des débouchés
puisqu'ils sont motivés par des besoins locaux. Contrairement aux
productions destinées à des marchés de masse, celles des fab
labs n'ont pas nécessairement besoin d'être standardisées.
Neil Gershenfeld envisageait même que dans l'équipement des fab
labs, la configuration de base puisse évoluer vers encore plus
d'autonomie, avec des machines qui permettent de produire d'autres
machines jusqu'à pouvoir reconstituer l'équipement entier
d'un fab lab : « This is not a static configuration; the
intention over time is to replace parts of the fab lab with parts made
in the fab lab, until eventually the labs themselves are
self-reproducing ».<br>
<br>
D'anciens circuits économiques peuvent donc se trouver
contournés. Face aux structures industrielles, ces lieux engagent à
la fois dans une désintermédiation et une réintermédiation, en
se positionnant en fait comme de nouveaux intermédiaires, opérant
à l'écart de logiques strictement professionnelles.<br>
<br>
Dans certains fab labs, la conscience des ressources limitées de la
planète amène aussi à essayer de contourner l'enjeu des
difficultés d'accès aux matériaux en promouvant la
récupération. Avec une telle logique, ces initiatives se rapprochent
alors d'une « économie circulaire » ou d'une
« économie de fonctionnalité », où une
préoccupation est de pouvoir boucler les cycles d'utilisation des
matières.<br>
<br>
Les fab labs ne visent pas forcément des objectifs marchands. Ce qui
est produit n'est pas nécessairement destiné à être mis en
vente sur un marché et acheté par des consommateurs.<br>
<br>
<br>
<u></u> <u></u><u><i>c) Déplacements dans l'appréhension
du « travail »</i></u><br>
<br>
Fab labs et makerspaces sont des lieux où s'agrègent des
contributions volontaires. À la confluence du Do-It-Yourself et des
échanges entre pairs, également dans une forme de prolongement de
dispositions d'esprit communes dans le milieu hacker, le
fonctionnement des fab labs et des makerspaces laisse entrevoir une
manière relativement originale de concevoir le travail (au moins par
rapport à sa réification tendancielle et à sa réduction à un
emploi fournissant une rémunération).</font></div>
<div><font face="Times New Roman" size="+1" color="#000000"><br>
S'il y a du travail dans ces lieux, ce dernier n'y est pas
envisagé de manière abstraite et parcellisée. Quand il s'agit
de fabriquer un objet, celui-ci est envisagé de sa conception
jusqu'à sa réalisation. Par contraste avec des formes
industrielles qui ont pu être critiquées pour leurs tendances
aliénantes, le travail réalisé (re)gagne du sens, dans la mesure
où les membres des fab labs peuvent ainsi participer à
l'ensemble d'un processus, y faire valoir leurs attentes et y
insérer leurs idées. Pour ces participants, l'investissement
personnel paraît pouvoir avoir un débouché tangible, à une
échéance qui peut être certes plus ou moins longue. Les projets ne
sont pas contraints par un temps imparti et chacun peut espérer
pouvoir suivre le rythme qu'il souhaite.<br>
<br>
<br>
</font><font face="Times New Roman" size="+2" color="#000000"><u><b>IV) Voies d'actualisation des
potentialités</b></u></font><font face="Times New Roman" size="+1" color="#000000"><br>
<br>
Fab labs et makerspaces semblent avoir d'importantes potentialités
de développement. Ils semblent en effet au croisement de tendances
fortes : celle propice à une digitalisation généralisée
et celle relative au développement des pratiques collaboratives,
auxquelles ces lieux offrent un cadre qui peut jouer un rôle
structurant. Ils restent toutefois inscrits dans un système
technicien, un tissu économique et une culture matérielle
produisant et véhiculant des contraintes qui peuvent ne pas être
faciles à déplacer, mais laissant aussi des prises qui peuvent
être exploitées.<br>
<br>
<br>
<u></u> <u></u><u><i>a) Digitalisation des
contextes d'activité</i></u><br>
<br>
Les trajectoires technologiques qui semblent amorcées autour du «
numérique » se réfractent dans toute la chaîne qui va de
la production à la consommation. Il faudrait d'ailleurs plutôt
parler de conjonctions de trajectoires technologiques, qui font se
rencontrer développement du numérique (ce qui inclut aussi les
logiciels) et miniaturisation (notamment dans le domaine de
l'électronique, mais pas seulement). De même que pour
l'informatique, la miniaturisation des machines et la réduction de
leur coût est un facteur qui peut faciliter leur diffusion. Les
productions qui peuvent en tirer parti tendent alors à devenir moins
dépendantes de processus centralisés. En amont de sa
théorisation de la possibilité d'une « écologie sociale
», Murray Bookchin avait senti cette évolution et ses implications
politiques potentielles selon les structures sociales dans lesquelles
elle pourrait s'insérer.<br>
<br>
La manière de concevoir les objets semble aussi en pleine
évolution. Grâce aux technologies informatiques, les objets ont
acquis une existence numérique qui peut les rendre plus facile à
modifier et à reproduire,<i> a fortiori</i> si leur conception est
« ouverte » (« open design »).<br>
<br>
C'est tout un environnement technologique qui se réorganise et qui
soumet ainsi les activités productives à de nouvelles conditions,
dont peuvent aussi profiter les fab labs et makerspaces.<br>
<br>
<br>
<u></u> <u></u><u><i>b)
Pratiques de partage et développement de logiques
collaboratives</i></u><br>
<br>
Un facteur supplémentaire est à prendre en compte du point de vue
des rapports sociaux : le développement d'une économie qui
est maintenant souvent qualifiée de « collaborative »
ou « contributive ». Les activités correspondantes
paraissent en effet davantage fondées sur la coopération, le
partage et la mutualisation, dans des réseaux souples qui peuvent
néanmoins finir par ressembler à des communautés. Ce sont des
formes d'organisation sans hiérarchie apparente qui reposent
essentiellement sur des contributions volontaires, entre pairs. Les
échanges qui s'y effectuent peuvent ainsi aider à la production de
communs.<br>
<br>
Cet esprit, outre celui de partage des outils, imprègne
effectivement les fab labs, où les participants sont invités à
combiner mutuellement les apprentissages et à documenter les
projets, dans une logique de capitalisation des connaissances qui est
de fait mise également en avant dans la charte des fab labs. La
logique des échanges n'est plus nécessairement fondée sur des
marchandises à vendre sur un marché. Des biens sont en effet
produits, mais leur valeur d'usage tend à primer sur leur valeur
d'échange.<br>
<br>
<br>
<u></u> <u></u><u><i>c) Transformation des bases
d'échanges</i></u><br>
<br>
La reprise de solutions déjà expérimentées est aussi ce qui
peut permettre de faire baisser certains coûts. D'où
l'intérêt du modèle de l'open source pour ces modes
d'organisation de type fab labs. L'open source facilite les
échanges et la circulation des connaissances. Grâce à leur
ouverture, les projets peuvent être accessibles, mobiles et
modifiables. La dynamique favorable à l'ouverture qui s'était
développée dans le domaine des logiciels, sous la bannière de
l'« open source », tend à s'étendre aux
matériels, avec non seulement des initiatives qui poussent en ce sens
mais aussi des projets qui visent à des réalisations concrètes
(la carte électronique Arduino étant par exemple l'une des plus
connues). En s'écartant des préoccupations de propriété,
voire en les remettant en cause, ces activités peuvent aussi trouver
des affinités avec une « culture du don technologique
» qui a sous-tendu le développement des logiciels
libres.</font></div>
<div><font face="Times New Roman" size="+1" color="#000000"><br>
La recherche d'objets plus facilement réparables, ou adaptables à
l'évolution des besoins, peut être un appui à cette dynamique.
Les équipements des fabs labs peuvent aider à allonger la durée
de vie de ces objets. Ils peuvent ainsi se présenter comme un moyen
de contourner l'obsolescence programmée, que certaines entreprises
peuvent être tentées d'utiliser pour accélérer le
renouvellement des produits et entretenir leur marché. Le
développement des imprimantes 3D a commencé à susciter un fort
intérêt de ce point de vue, car il laisse entrevoir une
possibilité d'« imprimer » des pièces
détachées de remplacement pour celles qui seraient usées, abimées
ou devenues défectueuses. Une conception en open source peut
d'ailleurs faciliter la réparation.<br>
<br>
<br>
<u><b>Conclusion : un projet déjà en voie de normalisation
?</b></u><br>
<br>
Le modèle des fab labs et des makerspaces commence à peine à
être connu et il peut donc encore gagner largement en audience. Si le
modèle se répand, c'est qu'il séduit. Mais, pour
l'instant, ce sont encore des espaces interstitiels, dans lesquels un
nombre encore réduit d'acteurs est engagé dans des interactions
plus ou moins régulières et plus ou moins organisées.<br>
<br>
S'il apparaît porteur de potentialités, le développement des
fab labs et makerspaces est toutefois aussi chargé en ambivalences.
De tels lieux peuvent être effectivement des intermédiaires
facilitant l'accès à la fabrication. Mais quand les grands
acteurs industriels et publics manifestent un intérêt à leur
égard, c'est souvent avec des schémas intellectuels qui les
réinscrivent dans les mêmes logiques de développement économique
que celles qui ont marqué la fin du XXe siècle. En France,
l'appel à projets « Aide au développement des ateliers de
fabrication numérique », lancé en 2013 par la Direction
Générale de la Compétitivité de l'Industrie et des Services du
Ministère du Redressement productif, restait aligné sur une vision
fortement entrepreneuriale et soucieuse de débouchés
économiques. Les expérimentations peuvent donc aussi subir des
formes de normalisation.<br>
<br>
Une question importante reste au surplus de savoir qui finance et
comment. Sachant que ces modalités de financement peuvent
notablement influencer les orientations adoptées et introduire des
contraintes, contribuant ainsi à détourner des valeurs
originelles. Un tel déplacement peut paraître d'autant plus aisé
que dans ces initiatives, le travail tend à être organisé sur le
mode du « projet ». On retrouve ainsi la «
cité par projet » dont Luc Boltanski et Ève Chiapello
avait repéré le rôle dans l'installation d'un «
nouvel esprit du capitalisme », ce qui peut augurer d'une
facilité à s'insérer dans un système capitaliste en
évolution et en recherche perpétuelle de voies d'adaptation. De
fait, le modèle des fab labs permet aussi davantage de flexibilité
dans la production et peut être récupéré et instrumentalisé
par de grandes organisations industrielles qui peuvent les exploiter
comme des réservoirs (externalisés) non seulement de
flexibilité, mais aussi de créativité et d'idées.<br>
<br>
Qu'est-ce qui compte alors ? Peut-être pas tellement leur nombre
(encore relativement faible), mais l'imaginaire qui est réouvert.
Ces espaces portent potentiellement une évolution du rapport aux
objets, aux machines, aux savoirs professionnels. Ils contribuent à
installer une autre vision des cycles productifs. La production
d'artefact ne paraît plus réservée aux usines ou à l'univers
industriel et les participants deviennent coproducteurs ou «
prosommateurs » (à la fois producteurs et
consommateurs).<br>
<br>
Cet accès à une fabrication plus locale est aussi porteur d'un
changement du rapport au temps et à l'espace. La logique
industrielle a en effet aussi contribué à organiser non seulement
les rythmes de vie et de travail, mais aussi les territoires. Cette
logique est aussi une « dimension de la mondialisation »
comme le rappelait Anthony Giddens : « L'industrie
moderne est intrinsèquement basée sur des divisions du travail,
non seulement au niveau des tâches, mais aussi de la
spécialisation régionale en fonction du type d'industrie, de
savoir-faire, et de la production des matières premières
».</font></div>
<div><font face="Times New Roman" size="+1" color="#000000"><br>
Avec l'émergence d'un nouveau type de système productif, la
domination de l'ordre industriel ne paraît alors plus intangible.
Et s'il est possible de parler de « système technicien
», ce dernier apparaît perméable à d'autres logiques que des
logiques industrielles, voire laisse entrevoir une nouvelle
trajectoire possible.<br>
<br>
Ce qui s'avère également intéressant, ce n'est pas seulement
ce qui est fait dans ces lieux (les productions), mais aussi comment
cela est fait (les processus). Les participants mettent en ¦uvre une
éthique (qui n'est pas sans rappeler l'éthique hacker, comme
on l'a vu) articulant une série de valeurs, favorisant de fait
l'échange et le partage. Dans l'esprit des makerspaces, l'enjeu
n'est plus de posséder des moyens de production, mais d'y
accéder.<br>
<br>
Mais pour y faire quoi ? De nouveaux gadgets ? Cela
dépendra de la dose de réflexivité qui sera appliquée à des
pratiques encore émergentes. D'autant qu'en effet, les
technologies numériques ont aussi leur lot de contraintes et que
continuera à peser en arrière-plan la problématique
écologique, avec également son lot de dépendances, spécialement
par rapport aux approvisionnements en ressources matérielles.<br>
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</div><br><br clear="all"><div><br></div>-- <br><div class="gmail_signature"><div dir="ltr"><div>Check out the Commons Transition Plan here at: <a href="http://en.wiki.floksociety.org/w/Research_Plan" target="_blank">http://en.wiki.floksociety.org/w/Research_Plan</a> </div><div><br></div>P2P Foundation: <a href="http://p2pfoundation.net" target="_blank">http://p2pfoundation.net</a> - <a href="http://blog.p2pfoundation.net" target="_blank">http://blog.p2pfoundation.net</a> <br><br><a href="http://lists.ourproject.org/cgi-bin/mailman/listinfo/p2p-foundation" target="_blank"></a>Updates: <a href="http://twitter.com/mbauwens" target="_blank">http://twitter.com/mbauwens</a>; <a href="http://www.facebook.com/mbauwens" target="_blank">http://www.facebook.com/mbauwens</a><br><br>#82 on the (En)Rich list: <a href="http://enrichlist.org/the-complete-list/" target="_blank">http://enrichlist.org/the-complete-list/</a> <br></div></div>
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